mercredi 24 octobre 2007

Le conditionnement psychologique


Il est erroné, nous l'avons constaté, de décrire la conscience comme un arbitre suprême, alors qu'elle est une résultante de l'action. Dès lors nous ne pouvons connaître la conscience qu'en action, c'est-à-dire dans la relation à son objet. Certes la conscience active a pour cible un objet qui la reflète, mais cette relation se définit avant tout par la gestion d'une énergie autonome qu'elle projette sur ce qui l'entoure et que l'on appelle "action". Ce que nous voulons dire, c'est que la conscience existe par le choix de l'action : par exemple pour se détourner d'une intention ou, au contraire, faire perdurer une stimulation au-delà du contact sensoriel, notamment par le souvenir. Le contenu de la conscience et son action autonome ne sont pas nécessairement constitutifs. L'autonomie du phénomène conscient peut se révéler tout aussi bien dans la continuation de la stimulation, hors de portée de son objet, que dans la projection d'une énergie intrapsychique en réaction à ses propres stimulations mémo-sensorielles. Par contre le phénomène de la perception est constitutif du phénomène conscient. Lorsque l'on dit, par exemple, en regardant un arbre : "c'est un bel arbre !". Nous voyons bien que l'observateur, en disant cela, ne peut le faire que par une sensation enregistrée et restituée par la mémoire. Cette sensation est attachée aussi à une "compétence émotionnelle" de la mémoire qui me permet d'apprécier la beauté de l'arbre dans le souvenir. La nature de la sensation est donc consubstantielle à celle de la perception. C'est une dynamique qui ne fonde aucunement le contenu de la conscience, car contrairement à ce contenu, cette dynamique qui ne peut être enfermée dans les mots qui la décrivent. Cependant, à partir de cette observation de l'arbre, je comprends aussi la relation dissociative qui s'établit entre la "sensation que j'éprouve" et l'objet, qui me permet d'en avoir conscience en tant qu'objet de la mémoire, le contenant et le contenu. Ainsi le mécanisme conscient va bien au-delà de la relation à son objet, le contenu, car la mémoire qui le restitue est aussi un support psychique à l'action. Une action qui peut être détournée, différée, la pensée en effet peut entretenir la sensation à travers une image, lui donner forme d'idée qui devient un contenu. en s'appuyant sur l'action de la mémoire, elle peut aussi répéter cette image à satiété - surtout si elle est agréable - récompensant ainsi les zones cérébrales que la dite sensation a activées. Le contenu sera répétitif parce que la dynamique du contenant, la mémoire, l'est aussi par nature.

La pensée peut maintenir par conséquent la sensation de l'arbre, s'en servir pour cibler une action ou nourrir le souvenir, et ceci bien au-delà de la relation à l'objet, elle utilise une énergie d'origine sensorielle provenant de la mémoire pour fonctionner (écrire un poème sur l'arbre ou simplement le décrire dans un exposé...). Le processus de la pensée crée donc une image de l'arbre, qui nourrit une énergie intrapsychique, la pensée crée temps. Cependant, il y a un revers à ce pouvoir du temps, car la pensée qui entretient la sensation crée aussi la peur de la non sensation, de la privation de la stimulation. Nous voyons que la pensée, prolongement de la conscience active ciblant son objet, crée une dépendance à la stimulation qui l'incite à se l'approprier. Mais que cette dépendance est aussi la racine d'une peur psychologique, c'est-à-dire une peur qui n'est liée à aucun sentiment de danger objectif si ce n'est la perte de l'auto-stimulation. Cette peur définit intrinsèquement la nature du mouvement de la pensée, qui cherche toujours à se fixer sur un point du passé, un souvenir tout en éprouvant la peur psychologique. En réagissant à cette peur, qu'elle ne cesse elle-même de susciter par l'auto-stimulation, la pensée tend à emprunter à nouveau des structures de la mémoire, du passé, pour résoudre la peur, elle crée donc une conscience en boucle qui cherche à se rassurer en permanence. Un mouvement qui n'est pas libre, car il dépend d'une souffrance liée à la peur de la non stimulation. En cela, le penseur crée un ancrage au passé, à l'habitude gratifiante qui répond à cette stimulation et tend à éviter toute forme de vide psychologique. En un mot : l'appropriation stimulatrice du penseur crée une dépendance.

L'ensemble des ancrages psychologiques au passé motive le besoin d'identification "au meilleur", il crée une conscience particulière, mue par la souffrance psychologique, l'angoisse existentielle, qui naît du mouvement de la pensée, de son auto-stimulation. Ce mouvement nous révèle aussi la vraie nature du temps psychologique, à savoir, la recherche du "mieux". Il ne peut y avoir de place dans notre esprit pour "ce qui est" en ce mouvement, évidemment, sauf si nous cessons de fuir la souffrance psychologique pour la regarder en face, alors elle disparaît, mais la pensée, par nature, cherche constamment à s'en évader car elle recherche le plaisir. Le revers de cette habitude est que le cerveau prend peur du vide au point de l'occulter en permanence, comme il occulte l'idée de la mort.

Nous avons pu constater en effet que la dynamique de la pensée provient de la conscience projetée, mue par l'attention à ce qui est stimulant, le mouvement émotionnel vers la récompense activé par le système limbique. Donc par le mouvement même de la conscience, la pensée nourrit une crainte perpétuelle liée à la perte de cibles émotionnelles. Cette crainte nous enchaîne à la récompense, à l'action gratifiante qui devient ce "moi" protéiforme, fait de multiples modes de penser et de comportement par lesquels la pensée est enclin à réactiver certaines zones cérébrales de la sensation et de l'émotion qu'elle récompense. La pensée est donc ce mouvement qui gratifie le "moi" et pas seulement dans la relation à l'objet, mais aussi dans l'identification à la récompense par sa faculté à entretenir sa stimulation dans la vie relationnelle. Telle est la source de notre conditionnement.

Ainsi le penseur est l'instrument du "moi", de l'habitude, alors qu'il croît jouir d'une libre conscience. L'action de la pensée que nous pensions libre, ne nous laisse qu'une marge d'autonomie finalement très étroite. Heidegger avait compris que l'action de la conscience conditionne notre connaissance. Mais l'action, l'être-là, ne possède-t-il pas aussi sa propre intelligence ? Lorsque nous comprenons le mouvement de notre devenir et que d'un seul regard nous embrassons toute la situation de notre conditionnement, qu'advient-il ? Jiddu Krishnamurti parle d'intelligence dès lors que survient une vision pénétrante (insight), alors prend fin l'action de la pensée qui comprend la totalité de son mouvement.

La conscience circonscrite au "moi", nous le voyons, est un outil capable de répondre efficacement aux sollicitations de l'environnement, notamment grâce aux réactions de la mémoire permettant à la pensée de se focaliser rapidement sur un objectif et trouver une action adaptée à celui-ci. Notre conscience, parce qu'elle s'incarne dans la pensée et, bien que tiraillée par des choix fragmentaires et parfois contradictoires, reste toujours centrée sur le "moi", c'est-à-dire la recherche de la récompense. Le "moi" est constitué du catalogue de ces multiples stimulations d'origine inconsciente, en interaction avec la mémoire, la votre et celle de l'espèce, se cristallise dans la conscience qui permet d'identifier ce qui dans l'environnement situe notre action, puis devient pensée.

Chaque individu intègre des stimuli générant des émotions (emotionally competent stimulus, ECS) auxquels il réagit en permanence inconsciemment. Telles sont ces routes comportementales déjà tracées depuis l'état foetal et reliées à des perceptions nouvelles. Le processus de la perception ne faisant qu'agrandir le réseau routier existant. Ce travail de préparation interne nous donne la capacité, certes paradoxale, de "connaître" une situation avant d'en avoir pris conscience, simplement à partir d'une stimulation de la mémoire déjà formée (comme le montre l'expérience de Benjamin Libet sur l'activité neuronale). Il s'agit d'un processus d’intégration de la réalité dans le "moi", nécessaire à la survie, créant ainsi une "identification intérieure du monde" - une carte neuronale - dont le tracé se renforcera avec la fréquence de la perception de l'objet.

Ainsi le "connu" évolue à partir de la relation et de la répétition. Le cerveau trouvant une sécurité dans cette répétition. Le connu est un processus d'incarnation du "moi en action" qu'entretient la pensée, la connaissance conceptualisée, comparée, critiquée, exposée. Bien que la pensée s'imagine libre, elle suit donc le mouvement du "connu", dont la structure forme le "moi". La pensée se dit par exemple : "il faut que je me réalise en atteignant tel ou tel but", sans trop s'interroger sur les mobiles qui la font agir. Mais que se passe-t-il lorsque la pensée elle-même se rend compte qu'elle ne peut rien faire contre ce mouvement du "moi", nous demande Krishnamurti : "Que peut faire l'esprit devant cette chose vivante. Tout ce mouvement venant du "moi" dans le but de s'en débarrasser, il dit "il faudrait que le "moi" disparaisse", "Il faudrait que je me détruise", "Il faudrait que petit à petit je me débarrasse de moi-même", tout cela c'est encore est toujours le même mouvement du "moi", ce "moi" qui est la racine de la violence". Ainsi nous recréons une pensée totalisante, le mouvement de cette pensée n'est jamais innocent, même lorsqu'il se soumet aux plus strictes règles d'observation scientifique. Le penseur, si on l'observe bien, nous ramène toujours à une dynamique de la relation qui tend à préserver le "moi". Vouloir utiliser la pensée pour détruire le "moi" ne fait que consolider la dynamique elle-même.

Tout notre système éducatif repose sur le principe de l'émulation par la récompense. Le plaisir que nous retirons dans l'action de nous comparer aux autres est immense. Il crée inévitablement des formes d'attachement et de dominance à travers le savoir, il donne le sentiment d'exercer un pouvoir sur l'objet du savoir par l’érudition, le sentiment d’être capable de s’en rendre maître avec le temps. On nous fait l'éloge de la persévérance. Nous nous sommes habitués à cette idée du temps pour atteindre la connaissance, mais elle est totalement absurde. L'idée du temps, d'une démarche volontaire progressive, est un détour psychologique pour atteindre le plaisir, la sensation. Derrière cette émulation, à la base de toute démarche éducative, il n'y a pas la félicité qu'on nous promet mais, bien au contraire, mais le plaisir érigé en principe du savoir qui est une forme très subtile de conditionnement des esprits. Nous oublions que c'est la relation qui est essentielle, la structure du savoir est fondée sur le "moi" en action, c'est-à-dire l'habitude que nous avons pris de répéter une stimulation en utilisant les mêmes schémas de pensées, de sensations, d'émotions à propos d'objets différents.

Voir en action la nature et la structure du moi, c'est changer le moi. Nous éprouvons cependant une grande difficulté à appréhender une forme d'attention à la totalité de la conscience. Nous vivons dans la fragmentation, on nous a éduqué à réduire notre champ de conscience à l'action dirigée par la pensée vers un but. Le maître d'école nous enjoint à ne pas regarder par la fenêtre et à rester concentré sur notre devoir. Mais derrière cette concentration se cache tout l'arrière plan des frustrations, la peur de l'échec, que l'on entretient en fuyant, en cherchant refuge dans un modèle d'action "positif". Mais étant donné notre inclinaison naturelle pour la recherche de la gratification, notre esprit préfère entretenir la concentration vers un objectif, il trouve une forme d'accomplissement dans la concrétisation d'un but, même fragmentaire. Ainsi par recherche de la récompense, nous finissons par nous identifier à un mode de pensée étroit - nous nous conformons à "ce qui doit être" par le rejet de "ce qui ne doit pas être". Nous nous soumettons à la norme pré-existente, le connu de la tradition, tandis que l'attention au présent est prise pour de l'inattention, de l'indiscipline, de la distraction, elle est jugée immorale au lieu d'être encouragée. La structure sensorielle d'apprentissage reste concentrative : tableau central, disposition des chaises pour un regard aligné vers le maître, pièce rectangulaire, etc. Nous croyons que l'éducation a une tout autre mission : celle de cultiver l'intelligence, ce qui justement ne peut être fait qu'en comprenant les structures du "connu". Faut-il créer une nouvelle méthode d'enseignement pour parvenir à ce résultat ? Justement aucune, car la dissociation et le besoin d'ordre sont dans la nature même de ce que nous sommes. Nous ne pouvons devenir que ce que nous sommes, dirait Krishnamurti : la division du savoir, la bonté, le goût de l'expérimentation, la curiosité d'apprendre, le jeu et ainsi de suite, tout cela se trouve en nous. Inutile de créer une contrainte supplémentaire en imposant un modèle répliquant et dualiste de ce qui existe déjà, il suffit de laisser se révéler ce qui existe déjà en chacun de nous. Apprendre comment on apprend, observer les limites de chaque connaissance est le fondement de la connaissance.








1 commentaire:

Anonyme a dit…

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