samedi 24 juin 2006

Observer la conscience


La philosophie de l'esprit actuelle a pour intention explicite ou implicite de fédérer les domaines de recherche séparés jusqu'ici des sciences de la conscience. Il est évident que créer des champs d'études séparés, par exemple vouloir étudier les "représentations mentales" indépendamment des phénomènes cognitifs de l'émergence de ces dites représentations à la conscience peut paraître réducteur, mais il s'agit de mettre en lumière avant tout des faits. Pour connaître la conscience, l'approche de Krishnamurti remet en cause ce type de démarche analytique fédérative qui fait de la conscience un objet, tout autant que l'introspection subjective, son regard sur la question apporte un nouvel éclairage à toutes les questions épistémologiques que peuvent se poser les chercheurs qui s'intéressent aux phénomènes de la conscience : la première étant de savoir si ce psychisme-objet enraciné dans les mécanismes psychologiques, biologiques et cognitifs qu'étudie de manière compartimentée les sciences cognitives depuis un quart de siècle peut être appréhendé par une analyse globalisante ou s'il faut avoir recourt à la négation, au doute systématique dans la mesure où nous devenons de plus en plus conscient des limites de cet esprit qui s'interroge sur lui-même ? L'ambition de tout analyser n'est-elle pas une erreur, car elle aboutit à l'illusion d'un observateur séparé de la conscience qu'il observe. Le savoir étant le résultat d'une activité de la pensée cognitive, ne faut-il pas mettre en doute d'abord notre propre modèle de connaissance ? Pour Krishnamurti, ce doute est fondateur de la vraie connaissance, c'est parce que nous sommes en recherche, en quête d'un résultat objectif que nous n'osons pas mettre le doute à la source notre démarche.

Le problème de l'intentionnalité

Contrepoint de l'analyse bergsonienne d'un supposé "donné" de la conscience, la phénoménologie, mais aussi la philosophie existentialiste, tout comme celle de Krishnamurti ont d'abord mis en doute l'observation intellectuelle de la conscience, c'est tout le problème de l'intentionnalité qui se pose en effet dans cette observation, l'idée que toute conscience est nécessairement projetée vers un objet, "le mouvement existentiel qui précède l'essence" dont parle Sartre.

Ainsi notre connaissance du monde étant le résultat de notre conscience, il devient évident que le savoir ne se donne pas à nous, c'est notre conscience qui le construit, en cela tient tout le paradoxe de l'analyse. Pour Krishnamurti, la conscience se définit avant tout par un contenu qui agit, enregistre sans cesse et se fragmente parce que nous n'y sommes pas suffisamment attentif.


L'observateur : ultime frontière de la connaissance

L'étude de la conscience s'apparente à l'observation d'un miroir, l'observateur peut y voir simplement sa propre image ou bien se détacher de l'image pour regarder scientifiquement le polissage du verre, la déformation du reflet et la coloration du teint. Mais on en revient toujours à la même question : qui est cet observateur, comment se construit-il ? On peut prétendre que la conscience est fluctuante en observant la réflexion de la lumière sur le verre, mais le sujet conscient, lui, à l'évidence, ne l'est pas, le monde qu'il a créé obéit à des règles observables, verbales ou non. Mais ce monde ne le définit pas pour autant, le reflet dans le miroir n'est pas le sujet conscient. Ce qui définit l'observateur c'est bien son action, "l'intentionnalité" de se regarder dans un miroir. Sans cette action de vouloir s'observer, le miroir n'a aucune valeur, c'est donc le modèle d'action qui définit la connaissance. En effet, on peut employer bien des moyens de se connaître, suivre toutes sortes de méthodes, en définitive toutes nos actions se rapportent à une volonté, un but, une démarche, une projection, l'observateur et l'observé apparaissent ensuite, comme le résultat de cette action. Tout modèle de connaissance est limité par les capacités de l'observateur autant qu'il limite son observation à une fin.

Par conséquent, notre sujet conscient, ne peut être observé plus objectivement que sous deux angles co-substantiels : les limites propres au sujet lui-même - l'observation et les expériences scientifiques permettent de les cerner notamment - mais également le modèle de connaissance qui en découle et structure notre observation du fait. Car la façon d'observer est co-substantielle au fait observé. La co-substantialité entre l'observateur et l'observé est donc inhérente à l'observation. En s'interrogeant sur le fonctionnement de la pensée qui observe, la philosophie de l'esprit remet le problème du savoir à sa juste place. C'est bien une posture de la pensée qui nous laisse croire que l'observé est disponible à notre conscience, qu'il se donne à elle, alors que c'est l'action de la conscience elle-même qui l'a créé.




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